Impacts du bleuissement sur le bois et les sciages d’épicéa |

Quel est l’impact du bleuissement du bois scolyté sur ses propriétés mécaniques?

Les champignons de bleuissement induisent des discolorations profondes du bois (voir note 1 au bas de l’article) allant du gris clair au noir, en passant par différentes nuances de bleu et de brun. Ces champignons Ascomycètes appartenant notamment aux genres Ceratocystis et Ophiostoma colonisent l’aubier à la faveur d’attaques de  scolytes tels que l’Ips typographe ou de zones dépourvues d’écorce. Leurs filaments brunâtres progressent dans le bois par l’intermédiaire des trachéides, des canaux résinifères et des rayons parenchymateux, exploitant les réserves nutritives accumulées dans ces derniers. Leurs besoins en eau sont élevés, nécessitant pour se développer un taux d’humidité du bois au moins égal à 30%.

Les champignons de bleuissement sont incapables de métaboliser les composants structurels du bois que sont la cellulose, les hémicelluloses et la lignine. Ils n’ont en conséquence aucune incidence sur la masse volumique du matériau, ni sur ses propriétés mécaniques : l’élasticité et la résistance à la rupture d’un bois bleui sont comparables à celles d’un bois sain (voir note 2). C’est la raison pour laquelle, à l’instar de normes étrangères équivalentes, la
norme belge de classement visuel des sciages résineux de structure (NBN B 16-520) autorise le bleuissement de manière illimitée, quelle que soit la classe de résistance mécanique.

Il convient également de rappeler que, pour une utilisation en structure, la Spécification technique unifiée STS 23-1 (2015) Constructions en ossature bois préconise l’application à l’épicéa de traitements à la fois insecticide et fongicide. En effet, sa durabilité naturelle ne suffit pas à prévenir totalement les risques d’attaques biologiques en classe d’emploi 2 (bois sous abri, protégé des intempéries, mais dont l’humidité relative peut occasionnellement excéder 20%) et a fortiori en classe 3 (bois exposé aux intempéries mais sans contact avec le sol). Rappelons que les éléments de la charpente et de l’ossature appartiennent à ces classes de mise en œuvre (à l’exception des solives pour planchers intérieurs qui sont en classe d’emploi 1 et des lisses basses qui sont à considérer en classe 4). En vue de lever certains freins quant à la valorisation de sciages bleuis, l’utilisation de colorants adéquats couplée à l’application des produits de préservation pourrait donc être envisagée dans un contexte d’usage structurel, qu’il soit apparent ou non.

Les bois affectés par le bleuissement développent également une multitude de micro-fissures qui, en augmentant la perméabilité du bois, permettent un séchage plus rapide ainsi qu’une meilleure pénétration des produits de préservation dans l’aubier. La perméabilité accrue, notamment à l’eau, renforce par ailleurs la nécessité de respecter scrupuleusement les règles de l’art en matière de mise en œuvre et de prévoir un traitement de préservation pour les classes d’emploi 2 et 3.

Finalement, les agents responsables du bleuissement ne constituent pas une source potentielle de contamination sanitaire pour l’humain. Le bois bleui peut dès lors être utilisé pour l’emballage de produits alimentaires, d’autant que pour ces derniers ce sont souvent des palettes séchées et éventuellement traitées ISPM15 qui sont d’usage. En rappelant que les propriétés mécaniques du bois ne sont pas altérées par le bleuissement, celui-ci pourrait, dans le cas des marchandises dont l’apparence de l’emballage requiert un niveau d’exigence élevé, être masqué par l’application d’une peinture. Cette pratique se rencontre déjà dans le but d’assurer la traçabilité des palettes.

En conclusion, en n’altérant pas la composition des parois cellulaires du bois, les agents de bleuissement n’affectent pas ses propriétés physico-mécaniques. La majorité des voies de valorisation de l’épicéa ne devraient donc pas, d’un point de vue technologique, être compromises par le bleuissement du bois. Par manque d’information et pour des raisons esthétiques, les utilisateurs demeurent néanmoins très réfractaires à l’utilisation de cette ressource. L’application d’une peinture ou teinture, couplée à un traitement de préservation adéquat, peut être envisagée pour une partie des bois de structure, des bois ronds et des bois d’emballage. Parce qu’il confère aux bois traités une teinte homogène brun-chocolat, le traitement thermique pourrait également permettre la valorisation des bois bleuis en bardage. Devant l’afflux de bois scolytés, les consommateurs devront vraisemblablement faire preuve de souplesse face à cette ressource aux qualités mésestimées.

 

note 1 : À ne pas confondre avec les discolorations superficielles dues à des moisissures qui se développent à la surface de sciages stockés dans des conditions permettant le maintien d’un taux d’humidité élevé compatible avec la germination des spores. Un rabotage de 2mm permet en principe d’éliminer ces discolorations.
note 2 : Seule la résistance au choc peut être impactée en cas de forte attaque fongique.

 

Document écrit en 2019 par Henin J.-M. et Jourez B. (Laboratoire de Technologie du Bois du SPW),  Lesire C. et Pollet C. (asbl Geprofor), Hébert J. (Gembloux Agro-Bio Tech, ULG). Lire l’article au format PDF.