Interview de Bart Muys : « Il y a davantage de place pour la récolte de bois » | Belgische Houtconfederatie

En Flandre comme en Wallonie, les volumes des ventes de bois privées et publiques sont à la baisse, et ceci a un impact négatif permanent sur les entreprises de transformation du bois. Les gestionnaires de forêts publiques flamandes estiment qu’il s’agit simplement d’une conséquence, entre autres, de la gestion forestière qui doit changer suite au changement climatique et à la perception du public vis-à-vis de la récolte de bois. La Confédération Belge du Bois en a discuté avec Bart Muys, professeur d’écologie et de gestion forestières à la KU Leuven.

 

Comment voyez-vous l’évolution de l’approvisionnement en bois de nos forêts, compte tenu du changement climatique ?

Bart Muys : Pour la Flandre, nous avons réalisé des études approfondies à ce sujet, dont les résultats peuvent être consultés, entre autres, dans le rapport Biowood (cfr note 1, note 2). Un rapport sur le potentiel de récolte des arbres en Flandre selon différents scénarios de gestion sera également publié prochainement.

La conclusion générale est qu’il existe actuellement un potentiel de récolte bien plus important que ce qui est actuellement récolté annuellement.

Même si l’on tient compte du changement climatique dans le cadre d’un scénario de gestion forestière orientée vers la nature, ce potentiel continue d’augmenter. En effet, les arbres poussent plus vite en raison de l’effet de ‘fertilisation’ du CO2, de l’augmentation de la température moyenne et des précipitations. Il convient de noter qu’il est très difficile de prévoir les effets des phénomènes atmosphériques extrêmes tels que les périodes de sécheresse. Quoi qu’il en soit, il existe un grand potentiel de récolte durable pour les années à venir.

 

En Flandre, on s’inquiète de plus en plus des problèmes de vitalité du pin sylvestre dus à des conditions atmosphériques plus extrêmes. Cependant, il reste l’essence la plus répandue et demeure convoité par l’industrie. Quelle est votre position à ce sujet ?

Même dans le passé, il y a eu des périodes de vitalité réduite de nos pins, en raison de maladies ou de parasites, ou alors à cause de l’azote, mais c’est actuellement du passé. Le
pin sylvestre reste une espèce d’arbre résiliente et forte.

Ce qui me préoccupe le plus, c’est la manière dont la plupart des forêts de pins de Campine sont gérées.

L’éclaircie continue semble être la seule option de gestion employée. Il en résulte souvent une forêt sans grande valeur en bois, et surtout sans rajeunissement des pins. Ce dernier peut être facilement obtenu par régénération par bouquets avec réserve de semenciers, une légère préparation superficielle du sol et la plantation en cellules (placeaux) pour la diversification. Sans rajeunissement, pas d’avenir !

 

On dit parfois que l’augmentation de la biodiversité n’est pas compatible avec l’exploitation forestière et la récolte de bois. Qu’en pensez-vous ?

Les forêts de Flandre subissent l’influence de l’homme depuis des millénaires, notamment par le biais de diverses méthodes de gestion. Une grande partie de la diversité qui s’est développée dans nos forêts au cours de cette période est le résultat de la gestion et de l’intervention de l’homme, tout comme c’est le cas pour nos landes et nos prairies. La gestion forestière est largement influencée par la récolte de bois. Cela est vrai même si nous gérons les forêts dans le seul but d’accroître les valeurs naturelles. En d’autres termes, la récolte de bois aura lieu, par exemple pour maintenir suffisamment de lumière dans les forêts ou pour permettre à de gros arbres d’intérêt biologique de se développer plus rapidement. En outre, il devrait certainement y avoir de la place pour des réserves forestières intégrales, mais ne perdons pas de vue la valeur de la biodiversité des forêts gérées. En général, elles sont exemptes d’engrais et de biocides et nécessitent peu d’interventions de gestion (une fois tous les 5 à 10 ans). De plus, cela procure un revenu non négligeable au propriétaire et au gestionnaire forestier, qui peut ensuite être réinvesti dans la nature.

 

La politique et de nombreux gestionnaires forestiers semblent aujourd’hui supposer que la gestion forestière à petite échelle, avec des interventions ponctuelles et des interventions sur les arbres, est la norme pour obtenir des forêts résilientes, contrairement aux interventions à plus grande échelle du passé avec une récolte groupée et des coupes à blanc. Êtes-vous d’accord ?

L’idée qui sous-tend cette gestion à petite échelle est en partie de préserver le microclimat de la forêt, de sorte que les conditions atmosphériques extrêmes, en particulier les sécheresses, restent tempérées. Je pense que cette approche apporte une valeur ajoutée. Mais la science sylvicole offre toute une gamme d’interventions de gestion qui valent la peine, qu’elles soient à grande ou à petite échelle. Il appartient au gestionnaire forestier de décider en connaissance de cause quelle est l’intervention la plus opportune. Il n’y a pas si longtemps, c’est même le contraire qui était à la mode : apporter le plus de lumière et d’espace possible dans les forêts pour les rajeunir, préserver la flore printanière et créer des clairières permanentes. Aujourd’hui, il semble que ce soit à nouveau l’inverse. La science sylvicole propose toute une série d’interventions de gestion adaptées à des essences et à des conditions particulières, et ne préconise jamais l’unilatéralisme. Nous devons également viser la diversité et la nuance lorsqu’il s’agit d’interventions de gestion, ce qui nécessite une expertise et une technicité solide.

 

Oui, parce que la formation des gardes forestiers n’est plus ce qu’elle était non plus ?

En effet, alors qu’en Flandre nous avions l’habitude d’avoir une formation d’aptitude sylvicole pour les gardes forestiers, celle-ci a été élargie à la « gestion de la nature », dans laquelle une grande partie de la technicité requise pour la gestion forestière a été perdue. Il s’agit désormais d’une formation générale, qui ne fournit pas suffisamment de bases pour une gestion multifonctionnelle et durable des forêts. Lorsque le niveau académique de coordination du terrain du gestionnaire régional est également occupé par des profils sans  connaissance du terrain, il en résulte un désintérêt croissant pour la gestion multifonctionnelle des forêts, ou pire, des interventions de gestion erronées.

 

En tant qu’expert en planification de la gestion forestière, vous avez également une vision claire sur la manière dont la gestion forestière en Flandre est aujourd’hui façonnée via les plans de gestion de la nature, n’est-ce pas ?

La planification de la gestion de la nature vise à inclure la gestion de toute la nature (y compris la forêt). Mais dans la pratique, cela se traduit par des plans de gestion de la nature manquant de vision à long terme, des exercices de comptabilité pour la réalisation des habitats au niveau européen, avec une attention insuffisante pour les services écosystémiques, en particulier la production de bois. Cela dilue la gestion forestière, avec une attention insuffisante à la structure de la forêt, à la composition des essences, à la  répartition des classes d’âge et à la récolte durable de bois. Autrefois, par exemple, il fallait établir un plan de récolte pour que les autorités puissent contrôler clairement la quantité d’arbres abattus. Aujourd’hui, il n’y a plus que l’inventaire forestier au niveau flamand pour le faire. Il est donc beaucoup plus difficile d’estimer si nous coupons trop ou pas assez dans un complexe forestier donné. En guise de test de résistance, j’aime poser la question suivante : « Supposons que les prix du bois soient soudainement multipliés par 4, avons-nous encore le contrôle sur la quantité de bois qui sortirait de la forêt ? Si la réponse est négative, nous devons prendre des mesures supplémentaires. Une solution consisterait à accorder à nouveau plus d’attention à la structure et à la composition des forêts, ainsi qu’à la technicité de la gestion forestière dans les plans de gestion de la nature au niveau des forêts publiques comme au niveau des forêts privées. En termes de politique, la sylviculture en Flandre est un peu un cas à part : certains disent qu’elle relève de la nature et d’autres de l’agriculture, ce qui conduit souvent à un manque de cadre clair, la forêt étant la ‘patate chaude que l’on se refile’.

 

Comment voyez-vous cela ?

En Flandre, la forêt relève de la nature. L’ANB et l’INBO sont donc responsables de tous les aspects de la gestion forestière, y compris la production de bois au profit de la bioéconomie circulaire, mais ils en sont insuffisamment conscients. Il semble y avoir un revirement, mais une plus grande responsabilité dans ce domaine reste indispensable. Si aucun des deux ne veut s’engager, en principe, un autre département devrait être créé pour s’en charger, comme c’était le cas lorsque la forêt et la nature étaient encore séparées sur le plan politique. Mais qu’il soit bien clair que je ne suis pas favorable à cette dernière solution. La forêt reste la nature, toutefois cet écosystème précieux a également un produit durable merveilleux à offrir, qui mériterait une attention particulière.

 

Article initialement publié dans le magazine Bois Entreprise #26 de juin 2024.

 

Suivez-vous déjà la Confédération Belge du Bois sur LinkedIn?

Pas encore abonné(e) au magazine Bois Entreprise ?