Pour ou contre le parc à grumes ? | www.confederationbois.be

Il y a quelques années, le DNF et l’ANB ont mis en place un parc à grumes (PAG) pour vendre leurs plus beaux bois. Ce nouveau mode de vente fait débat au sein de la filière forêt-bois belge. Qu’en pensent la Confédération Belge du Bois et les acteurs concernés ?

En Belgique, de manière traditionnelle, les propriétaires forestiers vendent leur bois sur pied. La raison est simple et principalement fiscale en plus d’organisationnelle. En effet, un propriétaire forestier privé en personne physique qui vend ses bois (bien immobilier) n’est pas imposé sur ses revenus s’il vend ses bois sur pied*. Ceci explique pourquoi les propriétaires privés vendent généralement leur bois sur pied à des intermédiaires (exploitants forestiers ou exploitants-scieurs) qui se chargent de récolter les bois en forêt, de les trier en fonction de leur qualité et de les valoriser au mieux auprès de leurs différents types de clients (trancheurs/dérouleurs, mérandiers, scieurs, usines de pâte à papier, fabricants de panneaux à base de bois, producteurs d’énergie à base de bois…). La filière bois s’est donc organisée en fonction de cette donne fiscale pour valoriser au mieux les différentes coupes de bois.

Depuis quelques années, pensant pouvoir mieux valoriser les bois des propriétaires forestiers publics (Régions, communes, CPAS, Fabriques d’église…), le DNF et l’ANB ont imaginé de vendre certains bois de haute qualité via des parcs à grumes (PAG). Il s’agit donc de ventes de bois abattu et plus de bois sur pied. Les deux instances  publiques ont copié les ventes sur PAG français**, allemands et néerlandais. Après des collaborations avec l’ONF (PAG de Saint-Avold), l’ANB a créé son propre parc à grumes en forêt de Meerdael en 2019. La Région wallonne a suivi en créant le sien en forêt Domaniale de Saint-Michel Freyr. Ces deux initiatives ont suscité de vives réactions de la filière bois et principalement des marchands de bois qui se sont insurgés contre le fait qu’une administration puisse les concurrencer. En réaction, le Ministre wallon de la Forêt de l’époque, René Collin, avait chargé l’Office Economique Wallon du Bois (OEWB, désormais Filière Bois Wallonie) de dresser un bilan économique de la démarche après 5 ans. L’expérience wallonne de 5 ans, à raison d’une vente par an de 300 m³ maximum de culées, était qualifiée de renouvelable pour autant que les conclusions de l’étude soient positives.

Houtpark van Meerdaal

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Etude sur le bilan économique du parc à grumes

En 2022, après 4 années seulement, l’OEWB a réalisé cette étude sur le bilan économique du PAG (voir interview de  François Deneufbourg, Responsable Développement chez Filière Bois Wallonie – ex-OEWB ciaprès). De manière  assez surprenante et regrettable, l’actuelle Ministre wallonne de la Forêt, Céline Tellier, a décidé fin 2022 de poursuivre les activités du PAG de Wallonie sans tenir compte des recommandations et conclusions du rapport de l’OEWB. En effet, alors que le rapport recommandait de continuer à limiter le volume annuel vendu sur PAG à 300 m³, la Ministre a pris la décision de doubler le volume annuel à 500 à 600 m³, selon les années, pour autant que le PAG continue à être réservé aux grumes de la plus haute qualité. Par ailleurs, elle a également demandé d’approfondir la possibilité d’ouverture du PAG aux propriétaires forestiers privés… Autre fait étrange, cette décision fait suite à un rapport parallèle rédigé par le DNF qui ferait état d’un potentiel de 300 à 600 m³ par an. On peut légitimement se demander s’il n’y a pas ici conflit d’intérêts dès lors que c’est l’avis de la partie prenante dans ce type de vente, à savoir le DNF, qui est pris en compte par la Ministre et non le rapport objectif et neutre réalisé par l’OEWB !

Signalons aussi qu’il était prévu qu’un comité d’accompagnement de l’étude de l’OEWB soit mis en place, avec des représentants du secteur et du DNF. Malheureusement, ce comité d’accompagnement ne s’est réuni qu’à une seule reprise, après la première vente de bois sur PAG en 2019.

Et pour l’avenir ?

À ce jour, plusieurs questions importantes restent sans réponse :

  • Est-ce bien le rôle d’une administration, revêtant par ailleurs un rôle de police de l’environnement, de concurrencer le secteur de l’exploitation forestière ?
  • Qu’en est-il des coûts d’exploitation exorbitants des PAG ? Pourquoi le DNF estime-t-il depuis le début du dossier que les coûts de gestion de son personnel ne sont pas à prendre en compte ?
  • Quid du bilan environnemental du PAG ? À quand une étude objective (et neutre) tenant compte des déplacements d’engins et camions grumiers sur de grandes distances pour quelques arbres ?
  • Pourquoi autorise-t-on un passage supplémentaire d’engin dans les coupes pour le PAG alors que les exploitants forestiers doivent faire face à de plus en plus de contraintes pour limiter le déplacement des engins sur les coupes ? Les contraintes d’exploitation sont-elles d’ailleurs identiques à celles imposées aux exploitants forestiers ?
  • Qu’en est-il de la dévalorisation des lots dans lesquels les plus beaux bois ont été retirés. Si la concurrence est importante pour les lots vendus sur le PAG, nous savons que la concurrence est toujours plus importante dans les lots où quelques grumes de grande qualité sont présentes. Moins de bois de qualité dans un lot entraîne une diminution de l’intérêt pour ce lot et donc potentiellement une diminution de sa valeur.

On regrettera également que, dans les communications réalisées par les gestionnaires et propriétaires forestiers, seuls les prix de vente ‘bruts’ des culées et généralement des plus belles culées sont évoqués. Ne peut-on pas  exiger davantage de transparence de la part de l’administration publique quant aux informations relatives aux coûts d’exploitation, de transport, de gestion ou au prix ramené au volume entier de l’arbre comme lorsqu’il est vendu sur pied (culée + surbille) ? Enfin, on se rappellera qu’un des arguments du DNF pour faire passer la mise en place du PAG auprès de la filière bois était que ce parc représenterait une vitrine pour les bois wallons et qu’il motiverait donc les forestiers à marteler davantage dans les coupes de bois feuillus (car l’accroissement de la forêt feuillue wallonne et notamment publique est largement supérieur à la récolte, on ne récolte par exemple que 54% de l’accroissement de chênes indigènes en forêt publique wallonne…). Malheureusement, force est de constater que les volumes de bois feuillus vendus en forêt publique, et notamment de chêne, sont en nette diminution depuis plusieurs années.

 

Bilan du parc à grumes de Wallonie et de Flandre

Bilan du parc à grumes de Wallonie et de Flandre

 

Étude de la pertinence économique de la mise en place d’un parc à grumes en Wallonie

Interview de François Deneufbourg, Filière Bois Wallonie (ex-OEWB), auteur de l’étude de la pertinence économique de la mise en place d’un parc à grumes en Wallonie commanditée par la Région Wallonne.

Quel bilan tirez-vous des 5 premières années du parc à grumes ? Y vend-on les bois plus cher que dans les ventes classiques ?

Financièrement, l’expérience est certainement positive pour une catégorie de bois mais pas nécessairement pour tous, contrairement à ce qu’affirment certains. L’opération est intéressante pour les bois les plus exceptionnels vendus au-delà de 1000 €/m³ hors frais pour les trois premières éditions et 1500 €/m³ hors frais pour les deux dernières, qui représentent environ 35% du volume. Pour le reste, c’est plus discutable. Environ 30% se vendent dans la moyenne des prix des ventes classiques de bois sur pied de haute qualité et le reste semble ne pas être vendu à des prix supérieurs à ceux obtenus dans des ventes plus traditionnelles, ceci tenant évidemment compte des coûts d’exploitation très importants pour récolter quelques grumes éparses en forêt. Néanmoins, l’approche maximise les chances de vendre à un bon prix grâce à la mise en concurrence d’un grand nombre de transformateurs directs spécialisés dans les bois de haute qualité. L’affirmation que les marchands ‘ne mettent pas le prix’ lors des ventes traditionnelles ne tient donc pas la route. Et puis, en vendant sur PAG, il arrive que la probabilité de mieux vendre s’inverse lorsqu’on découvre un défaut qu’on n’aurait pas vu sur pied. Le risque passe donc du marchand au vendeur.

Quels avantages voyez-vous au parc à grumes ?

Outre l’intérêt économique pour les bois réellement exceptionnels, c’est une belle vitrine pour la forêt wallonne et notamment le chêne ardennais, pas toujours valorisé à sa juste valeur. Globalement, la moyenne qualitative n’a pas baissé au fil des ans. Le PAG de Wallonie n’a pas à rougir face aux ventes similaires organisées dans les pays voisins, que du contraire. Il permet également aux marchands de vérifier jusqu’à quel prix leurs clients sont capables d’aller pour de la belle marchandise voire éventuellement de renégocier certains prix qui leur seraient offerts dans le futur par ces derniers.

Même si le chêne représente 95% du volume, l’idée de mettre en valeur d’autres essences feuillues telles que le frêne, le noyer, l’orme, le châtaignier ou l’alisier est intéressante. L’opération permet également de se faire une idée de l’état du marché pour ces essences, ce qui est intéressant tant pour les marchands que pour les gestionnaires et propriétaires.

Avez-vous également des appréhensions ?

L’existence du PAG n’a, a priori, pas entraîné de perte de chiffre d’affaires chez ses principaux détracteurs. Il n’y a donc, a priori, pas de mise à mal de la profession bien que cette ressource de plus haute qualité leur échappe alors que c’est sur ce type de bois que les marges bénéficiaires peuvent être les plus intéressantes. Par contre, alors que jusqu’à présent la commercialisation des bois était affaire exclusive des marchands professionnels, le rôle de l’administration évolue et entre d’une certaine manière en concurrence avec l’activité traditionnelle des marchands de bois. Est-ce le rôle d’une administration publique d’entrer en concurrence avec un secteur économique privé même si elle essaie d’optimiser les gains des acteurs publics communaux et régionaux ? Quoi qu’il en soit, en aucun cas, on ne pourra empêcher les modes de vente d’évoluer. Il reste essentiel à mon sens de s’assurer que les marchands et les transformateurs locaux puissent s’approvisionner en s’assurant que les cantonnements puissent continuer de vendre du bois de belle qualité via les ventes traditionnelles pour conserver l’attractivité de leurs catalogues et finalement assurer une forme de disponibilité pour nos acteurs locaux. Il est en effet aisé de vendre les plus beaux bois, mais à l’échelle du marché global, il est bien plus capital de continuer à vendre le reste à un bon prix. N’oublions pas que les bois d’exception permettent régulièrement de mieux valoriser des lots plus larges. Le PAG ne doit donc pas remplacer d’autres modes mais s’inscrire en complément pour une certaine catégorie de bois dans des volumes limités.

Dans un souci de transparence, et pour tirer des conclusions les plus pertinentes pour toutes les parties, il me paraîtrait normal qu’un organisme tel que Filière Bois Wallonie continue à suivre toutes les ventes avec un suivi des données telles que les volumes bûcheron et les volumes arrivés sur parc car il est dommage de se limiter au prix de vente sans plus de détails ou d’estimation des coûts et pertes sinon l’information s’avère incomplète.

Avez-vous pu comparer les prix sur pied et les prix des bois abattus ?

Nous n’avons pu relever qu’une seule expérience (à Libin) permettant de comparer ces deux modes de ventes. Ce cas révélait que les 5 grumes de chêne vendues sur pied au rabais puis par soumission en 2020 ont été retirées à un prix inférieur de 25 €/m³ sur un prix d’achat net sur parc à grumes de 351 €/m³ (déduction faite des frais d’exploitation, de transport et de gestion), soit 7,5%. Le manque de données n’autorise cependant pas une généralisation de cette conclusion. On notera aussi qu’un lot de chêne a été vendu sur pied à 430 €/m³ à Chimay en 2017, deux autres à 432 €/m³ et 402 €/m³ en 2018 en forêt d’Anlier, un à 432 €/m³ en 2019 à Wellin, un à 505 €/m³ à Daverdisse en 2021 et enfin un à 430 €/m³ à Arlon en 2020. Preuve en est que les marchands mettent des prix comparables aux prix moyens vendus sur PAG lorsque les bois de haute qualité sont vendus sur pied et bien identifiés par le vendeur. Il est donc suggéré aux propriétaires de bien identifier les bois de haute qualité lorsqu’ils sont vendus dans les lots (vente spéciale, marquage spécifique, coordonnées GPS…).

Quelles étaient les recommandations de votre rapport ?

1) La formalisation de la limite de 300 m³ de culées vendues par an sur le PAG.

2) Le maintien de la périodicité à une vente par an en se focalisant sur les bois réellement exceptionnels.

3) La poursuite de la vente des surbilles sur le parc à grumes en ventes de gré à gré pour les scieries

4) Le maintien/renfort du niveau de qualité des culées de chêne

5) Le développement de la traçabilité des provenances (coordonnées GPS) car on sait que ce critère est  important dans la sélection et le niveau de prix offert.

6) Le maintien de la coexistence des ventes traditionnelles en prônant la diversification des modes de vente plutôt que la substitution d’un mode par un autre.

7) L’inventorisation plus précise de la ressource qualitative en chêne. here

 

 

 

L’avis des organisateurs des ventes de bois sur parc à grumes

Geert Bruynseels, responsable du parc à grumes flamand chez Natuurinvest

Le parc à grumes de Flandre vise 3 objectifs : favoriser la transformation locale, promouvoir une utilisation aussi durable que possible du matériau (cascading) et obtenir un prix correct pour la qualité proposée. Nous visons en permanence le meilleur équilibre entre ces trois objectifs. A aucun moment, nous ne favoriserons ou négligerons l’un par rapport aux autres.

La notion de transformation locale s’entend dans un rayon le plus restreint possible. Il peut s’agir de 50 comme de 500 km. Nous n’avons plus de trancheurs en Belgique, il est donc logique que la  qualité tranchage soir vendue à un transformateur actif à quelques centaines de kilomètres. Selon les essences et les qualités proposées, 50 à 70% des grumes alimentent la transformation locale. Sans le PAG, beaucoup de ces grumes partiraient en Extrême-Orient.

Je constate que de plus en plus de transformateurs achètent directement au PAG. Cela vaut également pour les entreprises de tranchage allemandes. Autre tendance : alors que les premières années, les ventes attiraient les  spécialistes du bois rond, on voit désormais de plus en plus d’acteurs de la seconde transformation intéressés par des grumes exceptionnelles pour des projets d’aménagement intérieur, des restaurations ou des projets artisanaux voire artistiques. La diversification des types d’acheteurs augmente, même si nous savons que ce facteur dépend en grande partie de l’offre. Quoi qu’il en soit, le PAG bénéficie aujourd’hui d’une belle renommée. Nous ne pouvons donc que nous féliciter que le bois soit davantage valorisé à sa juste valeur.

La mise en place du PAG a aussi contribué à accroître la connaissance en matière de bois de qualité au sein des équipes de l’ANB. Ce savoir avait tendance à disparaître et ce projet a permis d’inverser la tendance. Un point d’autant plus crucial que les ventes attirent des acheteurs spécialisés dans les bois de toute grande qualité. Contrairement à ce que pensent ou affirment certains, nous avons des bois de grande valeur en Flandre.

L’évolution des prix moyens au fil des ans est également parlante : 217 €/m³ en 2019, 279 €/m³ en 2020, 232 €/m³  en 2021, 360 €/m³ en 2022 et 408 €/m³ en 2023. Le prix le plus élevé obtenu était de 540 €/m³ en 2019 contre 3270 €/m³ en 2023. Le volume annuel mis en vente tourne autour de 500 m³. Cela représente entre 0,5 et 1% de  notre production mais génère environ 10% de nos recettes de ventes de bois. Nous n’avons aucune intention d’augmenter les volumes sur PAG. Le maintien du niveau de qualité actuel reste un point d’attention, qu’il ne sera pas simple de conserver. Nous avons également vite constaté qu’il n’était pas intéressant de vendre un très large éventail d’essences car pour beaucoup d’essences il n’y avait pas de plus-value au regard de nos trois objectifs.

 

Détail des ventes de bois sur le parc à grumes de Flandre de 2019 à 2023.

Détail des ventes de bois sur le parc à grumes de Flandre de 2019 à 2023.

 

Michel Baillij, Directeur SPW Agriculture, Ressources naturelles et Environnement, Département de la Nature et des Forêts, Direction des Ressources Forestières

Nous sommes très satisfaits de cette expérience des 5 premières ventes de bois sur parc à grumes. Nous avons reçu des retours très positifs des propriétaires publics mais également des acheteurs, que ce soit sur la qualité des bois proposés mais également sur l’organisation par le DNF de ce mode de vente complémentaire aux modes de vente traditionnels.

Le PAG de Wallonie permet aux propriétaires publics de se rendre compte de la qualité des bois et plus particulièrement des chênes en Wallonie, il joue de ce fait un rôle de vitrine primordial. Il a également un rôle de formation pour nos agents mais également pour d’autres (écoles en sylviculture, universités, groupements d’experts forestiers, propriétaires privés, marchands de bois…).Le Parc nous a également permis de rencontrer et de discuter avec certains acheteurs potentiels pour des essences plus particulières.

Ce mode de vente permet de plus de nombreux échanges très instructifs entre les représentants des autres parcs.

Le PAG ne devait-il pas influencer les gestionnaires à prélever plus de bois feuillus en forêt publique wallonne ?

Une diminution des prélèvements est observée en feuillus en forêt bénéficiant au Régime Forestier. Elle est principalement liée à la tendance à la baisse des volumes prélevés en chênes indigènes. Néanmoins, la diminution est principalement observable pour les bois de chêne de 50 à 150 cm de circonférence. Les prélèvements restent constants pour les bois de 200 à 250 cm et sont même en augmentation pour les bois supérieurs à 250 cm de circonférence.

Un des objectifs du PAG de Wallonie est de jouer un rôle de vitrine pour les gros bois de très haute qualité. Au vu de l’augmentation des prélèvements dans les très gros bois de chêne (>250 cm), le PAG de Wallonie montre un  effet favorable sur la délivrance des chênes arrivés à dimension d’exploitabilité. Il faudra cependant un recul un peu plus important pour consolider cette observation. Par ailleurs, bien que les prélèvements soient globalement en diminution, le DNF a permis de favoriser l’approvisionnement des scieries wallonnes par la procédure des grés à grés scieries. En effet, le volume des bois feuillus de plus de 120 cm de circonférence vendus aux scieurs wallons a plus que doublé entre 2015 (4 097 m³) et 2022 (9 260 m³). Le DNF a pour objectif au quotidien de maintenir cette tendance à la hausse.

Les diminutions des prélèvements observés dans les petites classes de circonférences s’expliquent  essentiellement par un important déficit des tiges de faible grosseur (< 100 cm). Il s’agit d’une situation rapportée pour l’ensemble des chênaies en Wallonie. Si on peut considérer que la disponibilité en bois d’oeuvre de qualité est garantie à moyen terme, il est inéluctable qu’à long terme, une phase de recul sensible de l’offre en grume de chênes sera observée.

Afin que cette phase de recul soit la moins importante possible, il est donc essentiel de réduire déjà les prélèvements en chêne.

Qu’en est-il de la poursuite de l’activité du PAG et du rapport parallèle du DNF ?

En plus du rapport de l’OEWB, la Ministre Tellier a demandé au DNF d’établir un rapport pour préciser la gestion globale du PAG au cours des 4 premières années de fonctionnement. C’est ainsi que nous abordons dans notre  rapport, outre notre propre analyse économique sur l’impact pour les propriétaires dont nous gérons les forêts, l’ensemble des points positifs inhérents à la mise en place de ce PAG en Wallonie.

Les deux rapports étaient donc positifs et favorables à la poursuite des activités du PAG. La seule différence concerne la suggestion de Filière-Bois Wallonie de limiter à 300 m³ le volume vendu annuellement. Sur base de l’analyse des ressources disponibles et dans une optique de gestion durable de nos forêts publiques, tout en ayant également comme objectif de rationnaliser l’organisation des prélèvements des bois de grande qualité à valoriser sur le PAG (notamment pour minimiser les coûts d’exploitation), nous avons suggéré à Madame la Ministre de ne pas fixer une limite maximale qui pourrait s’avérer contraignante dans certains cas. C’est ainsi qu’au vu de nos estimations, le volume ne dépassera jamais 500 à 600 m³ de bois issus des forêts publiques.

 

Détail des ventes de bois sur le parc à grumes de Wallonie de 2019 à 2023.

Détail des ventes de bois sur le parc à grumes de Wallonie de 2019 à 2023.

 

L’avis des acteurs de terrain

Anne Laffut, bourgmestre de Libin

La Commune de Libin n’avait pas souhaité participer à la première vente de 2019 par crainte de ‘décevoir’ les marchands de bois et souhaitait voir comment cette première expérience allait se dérouler. Sur les conseils du DNF, la commune a ensuite revu son point de vue et a organisé dans un premier temps une vente par soumissions avec 5 chênes de qualité parc à grumes, lors de la vente marchande d’automne en 2020. Les prix obtenus étant inférieurs aux prix de retrait, ces 5 chênes ont été proposés à la vente en parc à grumes en février 2021, où le prix de l’adjudication a largement dépassé le prix de l’estimation. Avec un prix moyen approximatif de 700€/m³, l’expérience est positive pour la commune. Libin a proposé 10 chênes (5 + 5 issus de la vente marchande d’octobre 2020) en 2021, 2 chênes en 2022, 2 chênes en 2023 et proposera 1 érable en 2024. C’est sur base des deux rapports de l’Office Economique Wallon du Bois et du DNF que la Ministre a pris la décision de pérenniser le parc à grumes de Wallonie. Pour être parfaitement complète, le rapport de l’OEWB était positif pour la poursuite du Parc à Grumes et indiquait notamment que l’impact économique était positif pour les propriétaires. Aucun impact économique négatif n’avait par ailleurs été décelé pour les marchands de bois notamment. Concernant les volumes, il ne s’agit pas de les doubler. Il a été demandé et accepté par la Ministre de ne pas limiter strictement le volume à vendre chaque année à 300 m³, ce qui était le cas dans la demande du Ministre Collin pour les 5 années de test, principalement pour deux raisons :

  • pas toujours facilement applicable sur le terrain (en sélectionnant les bois sur pied on ne sait pas prédire exactement le volume qui sera valorisé sur le Parc) ;
  • il est parfois plus intéressant de prendre 4 bois situés au même endroit plutôt que de limiter à 2 pour diminuer les frais d’exploitation…

Toutefois, sur base de l’analyse des retours du terrain et de l’expérience de ces dernières années, les volumes  proposés chaque année à la vente devraient varier entre 200 et 500 m³ en fonction des années (en 2023, on devrait être aux alentours de 450m³). Il a également été décidé que les bois seraient prélevés dans les coupes à rotation  afin de ne pas ‘vider la forêt’ (gestion durable du patrimoine forestier wallon) sauf urgence sanitaire par exemple.

 

Philippe de Wouters, directeur de la Société Royale Forestière de Belgique (SRFB)

« L’idée de valoriser au mieux ses bois s’inscrit dans l’esprit qui anime la SRFB depuis longtemps. Nous soutenons donc l’ouverture du PAG aux propriétaires forestiers privés pour leur offrir une possibilité supplémentaire de valoriser de petites quantités de bois de grande qualité dans un lieu centralisé. Reste à en formaliser le cadre pratique, pour lequel des discussions sont en cours avec le DNF. Sur le plan fiscal, pour rappel, un propriétaire en personne physique ne doit pas déclarer ses revenus de vente de bois à l’impôt des personnes physiques dans les revenus divers s’il les vend sur pied. Cette particularité vient du fait que le propriétaire est soumis à deux impôts annuels : l’IPP et le précompte immobilier, tous deux basés sur le revenu cadastral de la parcelle forestière. Dans le cas où le propriétaire souhaite organiser une vente de bois bord de route ou sur un PAG, il convient ici de distinguer, d’une part, les propriétaires en personne morale et en personne physique assujetties à la TVA et, d’autre part, les personnes physiques non assujetties à la TVA :

  • Les personnes morales et les personnes physiques assujetties à la TVA peuvent déjà vendre des bois en bord de route si cela fait partie des activités du propriétaire.
  • Une personne physique non assujettie à la TVA ne peut vendre ses bois que sur pied. Si elle souhaite suivre ses bois plus loin, elle devra le faire en collaboration avec un intermédiaire professionnel tel qu’un gestionnaire forestier, un expert forestier, une coopérative ou un exploitant. Dans ce cas, le propriétaire vend bien son bois sur pied à l’intermédiaire, qui se charge de l’exploitation et de la vente bord de route en toute transparence. Le prix du bois vendu sur pied sera définitivement fixé sur base du prix du bois vendu bord de route exonéré des frais de gestion de l’intermédiaire (exploitation et frais de vente).

Signalons par ailleurs que tout citoyen non assujetti à la TVA est invité à déclarer ses ‘revenus divers’ sans que cela soit considéré comme une activité professionnelle si cela reste bien entendu ponctuel. Cette spécificité pourrait donc s’appliquer à l’hypothèse de la vente exceptionnelle et non récurrente de quelques bois sur un PAG.

D’un point de vue pratique, ce mode de vente bord de route dans un PAG de haute qualité ne peut être rentable pour un propriétaire qui vend un ou deux bois que s’il peut s’appuyer sur un réseau local bien organisé pour la  sélection et la mobilisation des bois et si les conditions financières et techniques restent réalistes. Un élément dont il convient de tenir compte est également le facteur risque : c’est lorsqu’un arbre est abattu que l’on peut réellement affirmer qu’il est de valeur exceptionnelle. »

 

Valery Bemelmans, président de la Fédération Nationale des Experts Forestiers (FNEF)

« De manière générale, la FNEF n’est pas opposée au principe des ventes sur parc à grumes si ces ventes restent limitées aux bois réellement exceptionnels. Dans l’hypothèse d’une ouverture du PAG aux propriétaires privés, nous plaidons pour des ventes distinctes pour le privé et le public. Le PAG permet de valoriser des grumes de  dimensions et qualités exceptionnelles hors des marchés courants et dès lors de trouver des acquéreurs spécifiques pour ces bois. La formule peut aussi être intéressante pour un petit propriétaire privé n’ayant qu’un ou deux chênes exceptionnels à valoriser pour autant que les questions fiscales et pratiques/logistiques soient résolues. À cet égard, il serait souhaitable que le SPF Finances clarifie une fois pour toutes les aspects fiscaux de ce type de vente.

Le PAG a également la faculté d’attirer des acheteurs potentiels étrangers qui ne se déplaceraient pas pour des lots tout venant. Par contre, pour les ventes d’essences moins courants telles que le noyer, le merisier ou l’alisier, l’une des difficultés est que l’on ne peut garantir que le prix de vente sera intéressant tant la demande est réduite.

Concernant la crainte de dévaloriser des lots de bois sur pied en retirant les plus beaux sujets pour les ventes sur PAG, je ne pense pas que ce soit le cas si l’on parle véritablement de grumes exceptionnelles (et pas simplement de bois de 120 à 180 cm). Les lots classiques et les grumes exceptionnelles s’adressent à deux marchés très différents, les seconds couvrent un rayon d’acheteurs plus large prêts à se déplacer s’il y a assez de lots mis en vente, d’où l’intérêt des PAG.

En ce qui concerne le rapport d’évaluation du PAG par l’OEWB, nous l’avions demandé mais pas reçu. Le DNF nous a juste transmis quelques informations. Visiblement, le rapport devait être positif puisque l’initiative a été prolongée. »

 

Ludo Colemont, exploitant forestier, société Cohout

« Je me suis déjà déplacé au PAG de Flandre et j’ai naturellement suivi les résultats des ventes. Toutefois, notre société n’a pas soumissionné. A mes yeux, la vente directe des plus beaux bois aux clients finaux n’est pas une étape logique. J’avais de sérieux doutes quant à la rentabilité de l’opération au regard des coûts opérationnels très élevés. D’un point de vue commercial, il est vrai que nous peinons à obtenir de tels prix et nous sommes en effet surpris de ce que le marché est disposé à débourser. Cela doit nous inciter à la réflexion : devons-nous revoir notre approche ? Devons-nous également organiser ce type de vente ? Toutefois, même si nous vivons dans un pays libre, j’y vois une forme de concurrence déloyale par l’administration. Je m’attends aussi à une correction des prix à l’avenir car les acheteurs ne disposent pas de suffisamment d’informations sur l’origine des bois. Ils achètent sans connaître l’histoire des bois et cela peut leur coûter cher. Nous avons l’expérience et la connaissance pour savoir là où il faut être vigilant, par exemple par rapport aux forêts où les bois ont été remontés et piqués par les chaussures de grimpe. Sans le contexte, c’est une forme de tromperie du client. »

 

Dimitri Lebrun, exploitant forestier, société Lebrun Bois

« Notre avis sur le PAG n’est pas spécialement positif. D’une certaine manière, nous considérons le PAG comme un concurrent. C’est en effet notre métier d’identifier, acheter, trier et valoriser au mieux les arbres. Il est parfois  frustrant de constater que les plus beaux spécimens ont été retirés des lots en vente. Je comprends que c’est gratifiant et que c’est une belle vitrine pour le DNF d’identifier les plus beaux arbres et de les exploiter mais je ne suis pas certain que ce soit la meilleure chose à faire. D’un côté, le DNF et les communes ont l’impression de faire de bonnes affaires en vendant quelques arbres à des prix extrêmement élevés. Ceci, grâce à la mise en concurrence principalement de trancheurs étrangers (par ailleurs nos clients). D’un autre côté, il est évident qu’enlever les meilleurs arbres des lots mis en vente lors des ventes publiques a un impact négatif sur les prix remis par les exploitants forestiers pour le bois restant. Pour des lots importants, une réduction du prix moyen de quelques dizaines d’euros peut avoir un impact négatif beaucoup plus conséquent que la vente d’une ou deux grumes à un prix élevé. On oublie aussi les coûts d’exploitation cachés de ce type de vente. Cela nécessite le déplacement de gestionnaires, bûcherons, machines et camions pour un, deux ou maximum trois arbres par massif forestier. Non seulement les coûts d’exploitation au m³ sont exorbitants mais ce sont des camions partiellement chargés qui transportent des grumes vers une destination provisoire (le parc) ce qui a un impact environnemental négatif. Ces aspects-là, personne n’en parle ou les calcule.

A mon avis (qui je pense est partagé par beaucoup de connaisseurs), la décision de la Ministre de doubler les volumes vendus sur le PAG de Wallonie n’a pas beaucoup de sens car la sélection risque de vider les forêts wallonnes de ces arbres multi-centenaires exceptionnels en quelques années ou bien sera inévitablement étendue à des bois de moindre qualité qui n’ont pas leur place sur un PAG. Cela se traduira par davantage d’invendus et par une baisse des prix moyens tant sur le PAG qu’en forêt. L’opération nuira également à l’attractivité du PAG.

Pour nous, le seul point positif du PAG est que ce type de vente nous permet d’avoir une meilleure vue sur le prix maximum que nos clients (trancheurs) sont prêts à payer pour ces qualités. Ce qui a comme effet de diminuer à nouveau l’attractivité du PAG car nous payons ce prix sur pied déduction faite d’une petite marge mais avec une meilleure efficacité opérationnelle grâce à nos volumes ».

 

Sylvain Genin, exploitant forestier, société Genin Fernand & Philippe

La vente de bois sur le PAG n’est pas un marché pour nous. Ce n’est pas notre métier d’acheter ces bois d’exception à l’unité. Les clients de cette niche préfèrent acheter en direct. Pour moi, le PAG est une belle vitrine pour nos forêts et un moyen d’évaluer les prix que le marché est disposé à payer pour ces bois. Néanmoins, je suis convaincu que si nous présentions les mêmes bois aux mêmes clients, ils ne débourseraient jamais les mêmes montants. La vitrine du PAG est aussi un coup de publicité pour les acheteurs. Naturellement, on préférerait que les plus beaux bois restent dans les coupes qui sont mises à notre disposition dans les catalogues de ventes de bois sur pied. La présence de beaux bois dans des lots facilite toujours la vente des autres bois. Au final, la présence de beaux bois permet d’augmenter la valeur du reste du lot auprès des clients. La décision de doubler les volumes vendus sur le PAG de Wallonie m’interpelle. La forêt n’est pas inépuisable. Si l’on vend ces bois de la sorte, cela signifie qu’ils sont exceptionnels et, par définition, rares ou peu nombreux. Je ne suis pas certain que le niveau exceptionnel sera maintenu pendant encore 10 ans à ce rythme…

 

Benjamin Thys, scierie Thys Hout

Nous ne sommes pas favorables aux ventes de bois sur de tels parcs. Les belles grumes sont dorénavant régulièrement retirées des grands lots de bois vendus sur pied. En temps normal, elles pourraient nous être  proposées via les exploitants forestiers car nous n’achetons que par leur intermédiaire. Pour ces derniers, un PAG est évidemment une concurrence. Lorsque nous leur achetons des lots avec quelques grumes de très haute qualité, nous les scions et les séchons nous-mêmes dans notre scierie. Nous ne sommes pas des revendeurs de bois rond. Nous remettons offre pour les belles culées depuis plusieurs années. Cependant, nous ne sommes pas entièrement satisfaits. En termes de prix proposés, les plus belles grumes sont impayables pour les scieries. Ces ventes sont très attrayantes pour les entreprises de tranchage. Nos chances seraient accrues si ces grumes étaient vendues dans leur intégralité en qualité A/B/C. Un tel PAG attire une large gamme d’acheteurs dont des entreprises de tranchage et des mérandiers. Nous ne pourrons jamais rivaliser avec les prix pratiqués par ces derniers. Les fabricants d’escaliers ou de meubles achètent aussi désormais directement au PAG pour parfois acquérir une seule grume. Ils peuvent évidemment proposer des prix plus élevés puisqu’ils sont des  transformateurs finaux. Les grumes peuvent également être achetées par des exportateurs, ce qui ne favorise pas le marché intérieur. Sur les +-78 belles culées de chêne d’Amérique et de chêne vendues cette année au PAG de Flandre, environ 75% ont été achetées par des entreprises étrangères. Cela pose aussi question d’un point de vue écologique tout comme il est étrange d’organiser le transport et la récolte de parfois quelques grumes.

 

Martial Camps, scierie Vicabois

« Les bois mis en vente sur le PAG sont magnifiques. J’adhère à l’objectif de valoriser au mieux le bois de nos forêts. Toutefois, de manière générale, je ne suis pas favorable aux ventes de bois abattus. Nous sommes structurés pour acheter le bois sur pied, avons investi dans du matériel et devrions licencier du personnel si ce mode de vente se généralisait. Cela changerait beaucoup de choses. La vente limitée de bois exceptionnels sur le PAG n’impacte pas directement notre entreprise, mais je comprends la position défavorable des marchands et me sens solidaire avec eux. Au niveau de l’exploitation des bois, j’ai l’impression que le DNF ne fait pas preuve de la même sévérité qu’en temps normal pour la récolte des bois destinés au PAG. Je serais également curieux de connaître l’empreinte carbone de l’opération. Quant à la vente des surbilles en gré à gré pour les scieries locales, j’y ai déjà participé mais ces produits ne correspondent pas à ce que je recherche. Par contre, vu l’engouement, j’ai l’impression que des collègues scieurs apprécient cette décision. »

 

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