PPA : 30.000 hectares de notre forêt wallonne menacés par l’oubli

30.000 hectares de forêts d’une de nos plus belles régions forestières et hautement touristiques sont en effet frappés depuis 10 mois par l’interdiction de circuler dans les bois en raison de la Peste Porcine Africaine (PPA). Entre-temps, les éleveurs porcins ont été indemnisés. Les agriculteurs peuvent continuer à exploiter leurs champs mêmes enclavés en forêts. Les promeneurs, cyclistes et campeurs ont pu reprendre leurs chemins de promenade et barbecues dans les bois. Malheureusement, depuis 10 mois, les forestiers n’ont pu réaliser aucun des travaux pourtant indispensables au maintien et au renouvellement de la forêt.

Comme sur toute la Belgique et l’Europe, une grande partie des épicéas qui font la réputation de nos forêts ont été ravagés par le scolyte. Faute d’avoir pu être évacués à temps en zone PPA, ils vont contaminer les épicéas restants. Ou rester morts sur pied jusqu’à tomber tout seul. Les mélèzes commencent aussi à être touchés par le scolyte. Les frênes continuent à mourir de la chalarose… Les forestiers n’ont pas pu planter les nouveaux arbres, ni éclaircir les jeunes plantations, ni élaguer les arbres d’avenir. Une seule année d’abstention de ces activités aura des effets techniques et esthétiques irréparables sur la forêt pour une décennie au moins et on sait que la crise de la peste porcine n’est pas finie…

Pas inaccessible pour tous…

Pourtant, la forêt n’est pas inaccessible pour tous les forestiers. Certains sont en effet autorisés à aller et venir dans les bois pour mettre des pièges, du nourrissage, des caméras de surveillance, etc… Ces derniers peuvent piéger, abattre les sangliers et les évacuer sous plastic protégé, le tout en respectant des mesures de désinfection pour lesquelles ils ont été expressément formés. L’autorisation de circuler est même valable pour piéger les ratons laveurs ! L’interdiction prononcée depuis 10 mois de procéder aux travaux sylvicoles et forestiers dans le but de ne pas disperser le sanglier est dès lors un non-sens par rapport à l’obligation de gérer la forêt en bon père de famille. Cette interdiction ne peut être maintenue plus longtemps, au risque d’aggraver le déséquilibre forestier déjà engagé depuis 1 an.

« La forêt ne sera plus qu’un sanctuaire si cela continue… »

250 emplois et une filière locale menacés par la PPA

L’impact économique est tout aussi colossal pour l’ensemble de la filière forêt-bois locale et régionale. Environ 180.000 m³ de bois feuillus et résineux n’ont pu être vendus cette année. Cela représente 12 millions d’euros de pertes pour les propriétaires publics et privés de la zone. C’est une perte de CA d’environ 635.000 euros par mois pour les entreprises de travaux forestiers et de récolte des bois. Cela menace 250 emplois directs dans l’ensemble de la filière forêt-bois. Or si les hommes de métier disparaissent, si les propriétaires ne replantent pas faute de moyens, si la profession ne s’adapte pas aux changements climatiques, notre forêt telle que nous la connaissons aujourd’hui est vouée à disparaître.

Et les indemnisations?

Le Gouvernement wallon a bien essayé de dégager une aide pour les exploitants qui ne travaillent donc plus depuis 10 mois. Toutefois, elle ne concerne qu’une partie des préjudices subis de dévalorisation des bois. Par ailleurs, toujours pas de validation pour les 2.400.000€ d’indemnisations pour perte d’activité et pertes sur investissements promis en févier. La situation devient très problématique pour certains exploitants. Ils ne savent plus rembourser leurs emprunts et sont au bord du gouffre. Pour les propriétaires (càd ceux qui plantent et replantent les arbres), seuls ceux qui avaient l’intention de vendre des épicéas au 17 septembre 2018 pourront éventuellement être indemnisés uniquement pour les bois attaqués par le scolyte ! Autant dire personne ! Aucune indemnisation pour tous les autres peuplements. Aucune indemnisation pour le dépérissement d’autres essences que les épicéas. Pas non plus d’indemnisation pour les jeunes plantations et régénérations qui seront perdues suite à l’impossibilité de les dégager. Aucune indemnisation pour les terrains préparés pour des plantations qui n’ont pu être réalisées. Et pas d’indemnisation pour les élagages et tailles de formations indispensables à réaliser sans retard pour assurer du bois de qualité à l’avenir … Certains propriétaires parlent tout simplement de vendre leur bien qui n’a plus qu’un aspect négligé fait de trous, de chablis et de ronces qui ont étouffé les jeunes plants.

Mesures insuffisantes, tardives et… injustifiées

Une seule exception. Les forestiers n’ont pu disposer de dérogations qu’en janvier uniquement pour inventorier et récolter les épicéas scolytés, dont certains n’ont d’ailleurs entretemps plus aucune valeur économique…. Et, les premières récoltes de bois scolytés n’ont pu débuter avant mars 2019. Période à laquelle la Région wallonne a confirmé tardivement le marché avec une entreprise de désinfection des engins forestiers…

Depuis le 17 septembre 2018, le Ministre wallon de la Forêt justifie son interdiction d’accès aux seuls forestiers par le risque de dispersion des sangliers. Or, d’après le Comité scientifique de l’AFSCA, le risque de dérangement par les engins forestiers n’est pas le principal facteur de risque. Ce comité évoque les phénomènes d’habituation à ce type de dérangement constatés chez les sangliers. Le secteur dispose d’ailleurs de vidéos qui démontrent ces phénomènes.

Dans son dernier arrêté ministériel du 27 juin 2019, le Ministre persiste. Il maintient son interdiction d’accès pour les professionnels forestiers en citant pourtant l’avis du Comité scientifique de l’AFSCA. Alors que celui-ci évalue de ‘modéré’ le risque de transmission indirecte via les personnes et le matériel vers des zones non contaminées.

Ce que le ministre oublie…

Ce que le Ministre oublie de mentionner, c’est que le Comité Scientifique de l’AFSCA estime « …que les travaux qui ne peuvent être reportés, et notamment ceux qui concernent les bois scolytés, peuvent toutefois être entrepris à la condition que ceux-ci s’effectuent dans les mêmes conditions qu’ils ne le sont dans le cadre de l’élimination des bois scolytés, …C’est-à-dire de façon structurée et strictement encadrée par des agents de l’administration en ce qui concerne le contrôle du respect des règles de biosécurité et de désinfection du matériel et de décontamination du personnel… Dans le cas où d’autres travaux forestiers ne pourraient être postposés, il est nécessaire de suivre des mesures de biosécurité similaires …. »

Ni la forêt ni les personnes qui vivent de la forêt ne peuvent continuer de la sorte à être les oubliés du Ministre de la Forêt !

Les oubliés du Ministre de la Forêt se rappelleront à son bon souvenir à l’occasion de Demo Forest et ailleurs s’il le faut. L’avenir de la Forêt mérite
mieux que des trous de mémoire.

Revendications de la filière forêt-bois :

Nos secteurs oubliés revendiquent :

Une indemnisation juste en fonction du préjudice subi. Et ce pour les propriétaires, entrepreneurs et exploitants forestiers directement touchés par les interdictions d’accès en forêt pour cause de PPA.

En plus de la récolte des peuplements d’épicéas scolytés, la reprise des activités ultra urgentes d’entretien des peuplements forestiers qui ne peuvent être postposées et moyennant le strict respect des mesures de biosécurité en vigueur (nettoyage, désinfection, …), à savoir :

  • Les plantations sur mises à blanc propres.
  • Les dégagements et dépressages des plantations et semis naturels.
  • Les défourchages de jeunes plantations et semis naturels.
  • Les élagages de pénétration et en hauteur.
  • La pose de répulsifs et protections contre les dégâts de chevreuils et de cervidés dont la population a sérieusement augmenté suite à l’interdiction de chasse en automne-hiver 2018-2019.
  • Les inventaires et martelages de peuplements dont les éclaircies et mises à blanc ne peuvent être reportées pour des raisons sanitaires, économiques et/ou sylvicoles.
  • Les opérations de récolte des peuplements feuillus et résineux vendus aux exploitants forestiers avant le 17 septembre 2018. (signalons que ces peuplements ne sont pas extrêmement nombreux et bien moins nombreux que les lots d’épicéas scolytés récoltés depuis début mars 2019). Ainsi que ceux qui seraient vendus après inventaires et martelages qui auraient été autorisés (cf point précédent).
  • Permettre aux engins qui ne quittent pas les forêts de la zone infectée de réaliser les travaux nécessaires sans désinfection. Permettre par zones de rassemblement de coupes privées/publiques de laisser passer les machines d’exploitation de parcelles en parcelles via le réseau de chemins forestiers existant entre les diverses propriétés. Ceci éviterait à la collectivité des dizaines de désinfections inutiles et couteuses sans raison.

Enfin, cette reprise des activités permettrait également de bénéficier de la présence de professionnels qualifiés sur le terrain pour rechercher des cadavres éventuels. Les forestiers pourraient donc être les alliés du Ministre…

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